L'art du vitrail dépend essentiellement de l'architecture. Il s'est épanoui lorsque l'architecture romane a fait place au gothique. Il n'avait plus sa place dans l'ornementation luxuriante du baroque ou du rococo. Les lignes nettes et les innovations structurales du XXe siècle, fondées sur l'acier, le verre et le béton, offrent de nouveau au maître-verrier des possibilités telles qu'il n'en avait jamais connues auparavant.
Banque du Crédit Lyonnais – Nancy
La verrière du Crédit Lyonnais est l'un des seuls exemples en Europe d'une verrière d'aussi grande dimension conservée dans son emplacement d'origine.
Créée en 1901 par Jacques Gruber, aidé du maître verrier de Malzéville Charles Gauvillé, elle se résume par ces chiffres : 250 m² au plafond et 264 panneaux, soit 23m de long sur 8m de large. Après une rénovation par Jacques Gruber en personne, en 1920, la verrière échappe à la destruction en 1976 grâce à l'intervention des Monuments Historiques.
La verrière est lumineuse avec des couleurs variées. L'observateur attentif distingue des nuances de violet, de turquoise et de parme. Le décor se compose de motifs géométriques et végétaux représentant des fleurs dont les tiges s'entrelacent autour d'une armature. Le tout formant des berceaux. L'ensemble est aérien et génère une atmosphère « d'aquarium » apaisant. Ce puits de lumière est un prisme offrant un éventail de couleur éclaté en nuance.
Architecte Lluís Domènech i Montaner (1905-1908)- Coupole d'Antoni Rigalt i Blanch
Palais de la Musique - Barcelone
Le Palais de la musique catalane est un des plus bel exemple du modernisme à Barcelone. Il est connu pour sa façade principale décorée de mosaïques et de chapiteaux en formes de fleurs, son magnifique auditorium au plafond peint et pour son inoubliable verrière.
Sa construction fait appel à des structures avancées telles que l'utilisation de nouveaux profils laminaires: il s'agit d'une structure métallique centrale stabilisée par des contreforts et des voûtes d'inspiration gothique. L'architecte innove par l'utilisation de murs-rideaux et futilise une grande variété de techniques artistiques : sculptures, mosaïques, vitraux et ferronneries.
L'accès à la salle de concert depuis le premier étage produit un grand effet théâtral. On passe de l'espace obscur des couloirs à une explosion de lumières et de couleurs données à la salle par les vitraux.
Les vitraux sont utilisés pour différencier les différents espaces de la salle en complément des éléments maçonnés. Le grand rideau de verre de la salle de concert assure à ce titre l'une des fonctions principales en tamisant la lumière extérieure. C'est le plus important ensemble de vitraux en termes de taille et de luminosité. Sont installés sur deux fenêtres, des murs latéraux et séparés de chaque côté par quatre colonnes de cinq vitraux formés de grandes ensembles plaques de verre dépoli sur une face liées au plomb. Celles-ci sont roses et représentent des guirlandes de feuilles et de fleurs qui passent d'une fenêtre à l'autre en enlaçant des motifs héraldiques de Catalogne et la croix de saint Jordi. Dans les parties hautes, à côté des arcs de style Tudor, on voit une frange de vitres hexagonales de tons ocre pâle et gris à la façon d'une mosaïque. Au premier étage, on retrouve les guirlandes de fleurs liées avec du verre bleu. Dans les balcons les motifs sont de verre rose avec une frise florale sur la partie supérieure.
Au centre du plafond, la coupole de vitraux est l'œuvre de Antoni Rigalt i Blanch. Elle est éclairée par de la lumière naturelle de jour, et est équipée d'un éclairage électrique pour les nuits. Elle est conçue en son centre en forme de sphères inversées représentant un grand soleil or et ocre. Les couleurs se dégradent peu à peu vers le blanc et bleu clair — couleur du ciel — avant de dessiner des bustes de femmes. Ce sont deux rangées concentriques de bustes. Les premiers sont dans des tons bleu clair et mauve, la seconde rangée, de couleur bleu sombre et vert clair. Les visages sont gris et portent un diadème orné avec des couleurs plus vives. La lumière qui résulte de la fusion des teintes dorées du plafond avec le rose des fenêtres latérales donne à la salle de spectacle une clarté unique et mystérieuse.
Les jeux de couleurs entre les différents espaces séparés avec des portes de verre assure une visualisation globale de l'ensemble. La salle de concert est le seul auditorium en Europe à n'être éclairé pendant la journée que par la lumière naturelle.
Eglise Sainte-Odile - Paris
L'église est construite de 1935 à 1946 à l'initiative de Mgr Eugène-Edmond Loutil pour rendre hommage à la sainte de son Alsace natale. L'architecte a pour nom Jacques Barge, il a opté pour un esprit, plutôt qu'un style, roman-byzantin.
Avec ses trois coupoles, l'église rappelle un peu la basilique Sainte-Sophie de Constantinople. Le clocher octogonal de l'église, haut de 72 mètres, est le plus élevé de Paris. Il faut reconnaître que sa taille lui donne des airs de minaret. L'édifice est en béton armé recouvert de grès de Saverne et de briques roses.
Sur la gauche de la nef, les trois chapelles latérales - très dépouillées - sont heureusement éclairées par trois immenses verrières réalisées entre 1935 et 1937 par le maître-verrier François Décorchemont. La verrière du centre illustre les scènes de la vie de Sainte Odile. Sous la protection de l’archange Saint Raphaël et le l’archange Saint Michel, les deux autres verrières racontent l’évangélisation de la Gaule à l’époque mérovingienne. Ces vitraux furent démontés et mis à l’abri en 1939, ce qui les a préservés jusqu'à nos jours.
Leur importance est grande : d’une superficie totale de 300 m2, ils ont la charge de dispenser la lumière par le seul côté éclairé de la nef, exposé au nord. Leur luminosité est liée à la technique impressionnante de la pâte de verre mise au point par l’artiste et pratiquée par lui seul depuis 1903.
Chaque pièce de la verrière possède son propre moule. Tout l'art consiste à savoir mélanger les pâtes colorées pour obtenir des effets de modelés et de décors. Chaque pièce apparaît donc comme un objet d'art travaillé individuellement. Mais il y a encore mieux : les petits traits qui apparaissent en noir et qui souvent définissent les formes des visages (œil, nez, bouche ...) ne sont pas produits par de la grisaille, mais sont dessinés par un sillon dans la pâte de verre rempli de ciment! La surface du verre, en relief à l’intérieur de l’édifice, transmet en la réfractant une lumière plus éclatante. Ce procédé est évidemment long et complexe. Il est aussi plus coûteux.
La verrière n'a pu voir le jour que par l'opiniâtreté de Mgr Loutil qui, nous disent les sources, aurait eu un véritable coup de foudre lors de la présentation par Décorchemont de ses premiers essais au musée Galliera en 1934. Le prélat chargea l'artiste de la création de la verrière de Sainte-Odile et... réussit à en assurer le financement. La verrière de l'église Sainte-Odile est la seule réalisation parisienne de François Décorchemont. Elle est regardée comme l'un des chefs-d'œuvre des arts du verre au XXe siècle.
Le béton armé dans les églises du XXe siècle
Au cours de l'Histoire, les églises ont d'abord été construites en bois, puis en pierre (et même en pierre armée dans les plus grands édifices gothiques comme la cathédrale de Beauvais). Ces matériaux ont donné les chefs d'œuvre que nous connaissons.
Dans la deuxième moitié du XIXe siècle, les architectes, usant des nouvelles technologies, ont commencé à innover. D'abord par l'emploi d'une ossature en fer recouverte de pierres. Ce qui permettait une construction rapide, robuste et peu coûteuse. La première église de Paris bâtie de la sorte fut Saint-Eugène (9e arr.). Puis vint le procédé du ciment armé de Paul Cottencin retenu pour les surfaces plates dans l'église Saint-Jean-de-Montmartre (18e arr.).
Le début du XXe siècle vit arriver de nouveaux matériaux, notamment le béton armé, et de nouveaux procédés permettant de construire ce que les bâtisseurs du Moyen Âge n'ont jamais pu faire. Par exemple de larges voûtes sans piliers intermédiaires pour soutenir la structure (basilique Sainte-Jeanne d'Arc, 18e arr.). C'est avec l'église Sainte-Dominique (14e arr.) que le béton armé allait recevoir ses lettres de noblesse.
Le béton armé est devenu maintenant extrêmement commun, mais il souffre d'un défaut inhérent à sa nature : en le décoffrant, on fait apparaître une matière qui n'est pas bien belle et qui porte les stries du coffrage. D'où la question qui s'est posée aux architectes des églises au XXe siècle : faut-il recouvrir le béton armé par un matériau plus noble, et plus agréable à l'œil, ou le laisser brut de décoffrage? Peut-on voir dans le béton un aspect, une essence, un esprit compatibles avec le sacré?