Introduction :
Je veux édifier une église qui soit « constamment pénétrée par la lumière des vitraux les plus radieux, pour qu'ils éclairent l'âme des hommes et qu'à cette lumière ils parviennent à comprendre la Lumière de Dieu » - Abbé Suger, Abbaye de Saint-Denis.
Depuis le Moyen-Age, l'art du vitrail a connu bien des vicissitudes. L'art médiéval du vitrail est un pur produit de l'Eglise catholique. Il est né en Europe du Nord au XIe siècle, il y a connu une magnifique jeunesse durant la grande époque des cathédrales, puis il a voyagé longuement dans le sud de l'Europe où il a mûri, et il est mort au XVIe siècle victime du poison lent de la Renaissance et du coup de poignard dans le dos que lui a administré la Réforme.
Les vitraux ont été détruits par les guerres, les iconoclastes, le vandalisme et la négligence. Aux XVIe et XVIIe siècles, cet art sera déprécié par ses artisans eux-mêmes car la technique de la peinture sur verre a sacrifié la luminosité qui est son essence.
Toutefois, on assiste au milieu du XXe siècle à une brillante renaissance. Commencée en France et en Allemagne, elle a gagné les Etats-Unis. L'influence de ce renouveau s'est fait sentir dans de nombreuses parties du monde, jusqu'à l'Ethiopie, l'Australie et le Japon qui ignoraient la technique du vitrail.
Le vitrail n'est plus depuis longtemps un art exclusivement religieux, et son avenir pourrait fort bien se révéler de plus en plus profane.
Les vitraux les plus anciens du monde :
Ils sont conservés intacts dans la cathédrale de l'antique ville d'Augsbourg en Allemagne. Ces vitraux, exécutés vers la fin du XIe siècle, représentent cinq prophètes de l'Ancien Testament : Moïse, David, Daniel, Osée et Jonas. Les personnages, de style roman, sont d'une taille monumentale de plus de huit pieds de haut et leur regard fixe, malgré un léger strabisme, est très impressionnant.
Du Roman au Gothique :
La période romane a été particulièrement propice au développement du vitrail dans l'histoire chrétienne. Pourtant, les fenêtres romanes sont de taille encore assez modeste. La plupart des vitraux se composent de médaillons carrés ou circulaires assemblés sur une armature en fer.
Le vitrail le plus courant est le vitrail légendaire. L'iconographie est très élaborée, reflétant une grande érudition et une volonté didactique. La vie du Christ, de la Vierge, et des Saints, l'Ancien et le Nouveau Testament, sont particulièrement illustrés. La place centrale est faite au personnage, le décor est très peu développé : une toiture représente la ville, un petit tertre, le sol, l'arbrisseau, la forêt. Des inscriptions permettent d'identifier les personnages pour favoriser l'enseignement et la compréhension de la Bible.
Les vitraux du XIIe siècle s'inspirent de l'enluminure et de l'orfèvrerie et révèlent une grande préciosité de l'ornement. De larges bordures, très riches, aux motifs de tiges en bouquets d'acanthe, de fleurons multicolores, réhaussés de filets perlés, font partie intégrante de la composition des vitraux. Le dessin témoigne d'un geste pictural très assuré.
Le fonds bleu clair, dit « Bleu de Chartres » illustre une grande partie des fonds de vitraux (cf. ND de la Belle Verrière, Chartres 1150). La palette de couleurs est prédominée par les bleus et les rouges en France, les rouges et verts en pays germaniques. Le jaune et le pourpre sont utilisés avec parcimonie.
Parallèlement, l'ordre cistercien, sous l'impulsion de Bernard de Clairvaux, fait appel aux maîtres-verriers pour décorer les baies de ses abbayes (ex. Aubazine, Pontigny, Fontenay) dont la sobriété répond à l'exigence de pauvreté et de recueillement voulue par le fondateur. Les couleurs vives et représentations humaines y sont prohibées au profit de motifs géométriques et végétaux proches des claustra byzantines ou islamiques.
Sans qu'on en ait la preuve formelle, il est à peu près certain que ce sont des maîtres-verriers français qui ont exécuté les vitraux des grandes cathédrales romanes qui s'édifiaient à l'époque en Angleterre (Canterbury, Monastère d'York).
Quant à l'Allemagne, elle est restée fidèle à la tradition romane longtemps après que la France et l'Angleterre se soient tournées vers le style gothique.
Le XIIIe Siècle : l'Art Gothique
Suite au progrès apporté par la construction de voûtes en croisée d'ogives contrebutées à l'extérieur par des arcs-boutants, les édifices s'élèvent désormais jusqu'à 2 étages et les verrières s'agrandissent.
Les roses, ou rosaces (ex. ND de Paris), apparaissent dans les façades occidentales ou dans les transepts. La baie se divise en lancettes, occasionnellement surmontées de tympans.
L'iconographie puise toujours dans les mêmes sources.
Le vitrail légendaire se développe sur les fenêtres basses, les fenêtres hautes illustrent quant à elles de grandes figures isolées, conçues pour être vues de loin (exemple : Chartres, Bourges).
Le décor et la bordure s'appauvrissent au profit d'un naturalisme plus marqué des corps, des attitudes (reflétés par les drapés des vêtements) et des végétaux.
Parallèlement au vitrail de « pleine couleur », les vitreries non-colorées dites « grisailles décoratives » se développent dès le début du siècle. Elles se caractérisent par des découpes géométriques où s'enroulent des feuillages encadrés de filets, parfois colorés. Le fond est hachuré ou tissé (cage à mouches) valorisant le motif végétal et décorant le verre incolore.
Ce type de vitrerie est d'abord employé davantage en Angleterre (cathédrales d'York, de Salisbury et de Lincoln). Il est impossible de dire à quel point l'influence cistercienne a pu généraliser l'usage des vitraux en grisaille qui, à l'origine très simples, sont devenus de plus en plus ouvrés.
Le XIVe Siècle :
La vitrerie incolore connaît un essor important à partir de 1300, par souci d'économie et de rapidité. Donnant aux édifices religieux davantage de luminosité, les vitraux incolores associent grisaille et panneaux de couleur sans peinture dans une même fenêtre. Les motifs peints sont mis en valeur par des éléments décoratifs colorés au centre de chaque panneau.
D'un point de vue technique, la palette s'enrichit des trois teintes de grisaille (noir, brun et sépia) et le jaune d'argent apparaît en France dès 1313, donnant la possibilité de réunir deux couleurs (incolore et nuances de jaune) sur une seule pièce de verre. Le jaune d'argent est également employé pour enrichir les motifs décoratifs du vitrail en grisaille. Le verre doublé apporte une autre innovation et enrichit la gamme des verres colorés.
Le décor architectural s'étoffe. Dans les vitraux français et anglais, le dais, ou baldaquin, utilisé depuis le XIIe siècle, prend une ampleur étonnante. Ces motifs architecturaux, ornements très lumineux qui encadrent les personnages, s'étirent, s'étendent de plus en plus. Si le nombre de scènes et de personnages sont réduits, la finesse de la peinture et du détail est importante.
A noter que les portraits des donateurs commencent à envahir les verrières d'Europe, en particulier en France et en Angleterre, jusqu'à vingt-quatre fois pour Henry de Mamesfeld à Merton ! (Evreux, Merton).
C'est également au XIVe siècle que le vitrail prend racine en Italie. Dès l'origine, il est présenté comme un art de peintre plus que de maître-verrier, à la différence de l'Europe du Nord. Le vitrail typique est la fenêtre à œil ou « occhio » qui est, en fait, une peinture en forme de cercle traduite en vitrail.
Le XVe Siècle:
Pendant les trois premières décades, le vitrail conserve le style gothique élégant et maniéré de la fin du XIVe siècle. Mais à partir de 1430, le style de la peinture flamande, et surtout celui de Jan van Eyck, maître du détail, influence considérablement la peinture sur verre. C'est là que commence le déclin du vitrail classique : il devient une copie de fresques ou de peintures de chevalet et finit par détruire la valeur essentielle du vitrail, sa transparence.
Les représentations architecturales sont de plus en plus réalistes. Les plans en trois dimensions apparaissent. Le décor s'enrichit également avec le damassé, motif inspiré du répertoire oriental. Les émaux translucides (bleu, vert et violet) permettent quant à eux la juxtaposition de plusieurs teintes translucides sur une seule pièce de verre.
Les jeux d'ombre et de lumière s'affinent pour donner du volume aux personnages. Les visages sont modelés, la technique du putoisé permet des carnations vives et naturelles. La sanguine, peinture vitrifiable d'une teinte brun-rouge très particulière, fait son apparition. Elle sera utilisée pour les carnations, en particulier des jeunes et des femmes.
Deux nouvelles tendances du siècle se révèlent encore dans le choix de plus en plus fréquent de sujets profanes pour les fenêtres d'église et aussi dans l'emploi croissant du vitrail pour les maisons particulières, ceci en raison de la prospérité du capital, du commerce, du profit et de l'usure, éléments caractéristiques de ce siècle.
Le XVIe Siècle : La Renaissance
Le vitrail subit l'influence italienne avec un retour à l'Antique qui se traduit dans les vêtements, l'ornementation de la coiffure, la représentation de l'anatomie, les pilastres et frontons architecturaux. Le paysage est désormais représenté par des arbres, des oiseaux, des fleurs, des villes et châteaux. L'éventail des pinceaux se développe, cela permet des effets variés : hachures, putoisés, grattage aiguille...
Grâce à l'utilisation de la perspective, le souci du réalisme et du naturalisme, le style italien communique d'abord une vie nouvelle à un art devenu trop statique. Mais ce style devient aberrant lorsque les lois de la peinture remplacent celles propres au vitrail. L'essence du vitrail se perd avec l'imitation de la peinture, l'utilisation de pièces de verre de grande surface et le sertissage chaotique.
L'usage généralisé des peintures au vernis, vers la fin du XVIe siècle a joué un rôle clé dans ce déclin. Les nouveaux fondants à l'émail (brun, rouge, bleu de cobalt, vert et violet) ont remplacé les teintes sombres des grisailles, par exemple, pour peindre les détails du visage. Les Français, les Flamands et les Suisses utilisent à fond cette technique. Le vitrail obtenu avec la peinture à l'émail perd beaucoup de son éclat translucide, les fragments d'émail se détachent avec le temps.
Cette période est riche en vitraux et cela se prolongera jusqu'au siècle suivant en Espagne. Il faut noter la mode des petits panneaux de verre suisses à offrir, de petite taille et à usage séculier. Cependant, en France, cet art meurt avec la fin du siècle d'une surabondance de stylisation dénuée d'inspiration.
Art catholique par excellence, le vitrail a particulièrement souffert des soulèvements religieux qui ont déchiré la Chrétienté au XVIe siècle en Angleterre et aux Pays-Bas. Les vitraux qui, avec leurs scènes de la Bible, leurs Saints et leurs miracles, étaient une source d'inspiration pour les dévôts catholiques, sont considérés comme une expression de pure idolâtrie et de superstition par les protestants. Les protestants, soucieux de remplacer l'imagerie religieuse par des thèmes héraldiques ou historiques, favorisent le développement du vitrail civil dans ces pays. Le vitrail perd sa dimension éducationnelle, la transmission des valeurs et du savoir n'est plus communiquée.
Les XVIIe et XVIIIe Siècles : Les années de misère
La Réforme sévit en Angleterre et aux Pays-Bas, la Contre-Réforme également. De nombreux ateliers français et allemands seront détruits pendant la guerre de Trente Ans.
En 1636, le Cardinal de Richelieu et Louis XIII, ayant soumis la Lorraine, ordonnent que tous ses palais et châteaux soient rasés, ce qui sonne le glas des ateliers de vitrail. Cette perte est désastreuse car la Lorraine fournissait l'Europe en vitrail de couleur. Dès 1640, on en trouve difficilement et il disparaît bientôt presque totalement. Au XVIIIe siècle, la demande de verres de couleur est quasi nulle en France, d'où cessation de la production française et perte des connaissances en matière de fabrication des peintures sur verre et verres colorés dans la masse.
Cette pénurie favorisera, d'une part, la peinture nouvelle en émail comme en Angleterre, d'autre part, l'utilisation du verre blanc pour les vitraux d'église comme en France et en Allemagne. La luminosité des vitreries « blanches » consacre l'avènement des styles baroque voluptueux et rococo. C'est également le siècle où les vitreries à bornes apparaissent. Si la peinture à l'émail ne convient pas à l'exécution de grandes verrières ornementales, elles conviennent parfaitement, en revanche, au dessin très fouillé des panneaux héraldiques.
Le XIXe Siècle : Epoque de renaissance
L'Angleterre réussit à refabriquer du verre d'une qualité proche du vitrail médiéval. William Morris et son associé Edward Burne-Jones relancent la fabrication de vitrail de couleur. La France, sous l'impulsion de Viollet-le-Duc, reprend la production de « vitrail archéologique ». Un gigantesque programme de restauration architecturale et de vitraux est lancé en 1840 et durera jusqu'en 1860. Le nombre des ateliers en France passe de 3 à 45. La manufacture de Sèvres adapte les émaux pour porcelaine au verre. Le verre imprimé apparaît à la fin du XIXe siècle ainsi que le verre américain.
La demande de vitraux religieux explose en raison du grand nombre de nouvelles églises et baies à vitrer associées au style néo-gothique, relancé en Angleterre par l'architecte John Nast qui construit des hôtels particuliers gothiques pour des clients fortunés.
L'Art Nouveau fait son apparition : ce sera le renouveau du vitrail qui jouera un rôle essentiel dans la décoration intérieure. A la fin du XIXe siècle, le vitrail reprend une place importante dans les arts.
Le XXe Siècle : Art Nouveau et Art Déco
Le vitrail joue un rôle important dans le mouvement Art Nouveau en France. L'Art Nouveau favorise le développement du vitrail civil décoratif dans les banques, hôtels, restaurants et appartement. L'Ecole de Nancy, notamment grâce aux créations de Jacques Gruber, lui donnent un tremplin formidable.
En Europe, les œuvres Art Nouveau sont surtout destinées à la clientèle particulière. Aux Etats-Unis, Tiffany invente le verre « Favril », un verre opalescent dont l'iridescence métallique devient sa marque de fabrique. Il réussit à adapter le nouveau style aux impératifs de l'Eglise. Le vitrail religieux renaît quant à lui dès 1920, les couleurs réapparaissent au détriment de la grisaille qui s'estompe. Il faut également reconnaître que l'église du XXe siècle a eu un énorme besoin de remplacer les centaines de milliers de verrières détruites au cours des deux guerres mondiales.
L'Art Déco (abrév. Arts Décoratifs) est un mouvement né au cours des années 1910 qui prend son essor contre les volutes et formes organiques de l'Art Nouveau avant de décliner à partir des années 1930. C'est le premier mouvement architecture-décoration de nature mondiale.Il concerne essentiellement l'architecture intérieure avec ses tapisseries, vitraux, peintures et sculptures ornementales, son ébénisterie, l'emploi de la céramique, de l'orfèvrerie. Le décor, en général encore très présent, n'a plus la liberté des années 1900 ; il est sévèrement encadré par ses créateurs et son dessin s'inspire de la géométrisation cubiste. Ordre, couleur et géométrie : l'essentiel du vocabulaire Art déco est posé.
L'Art Déco valorise le vitrail essentiellement dans les édifices civils. L'utilisation des verres imprimés, des miroirs et des verres noirs, la gamme de couleurs neutres (gris, beige, jaune, incolore) en sont caractéristiques.
La dalle de verre est une innovation de ce siècle, son essor est important après la deuxième guerre mondiale. A partir de 1945, la collaboration des maîtres-verriers avec les peintres se développe (Chagall, Matisse, P.Soulages...) La technique du thermofusing est introduite dans le vitrail dès 1960.